Dans sa fuite, ma coloc a laissé une bouture de poireau, mon dernier compagnon avec le yucca. Très franchement, j’ai envie de plonger la tête dedans. Un bol de verdure, même piquant, me semble moins rude que la solitude.
Durant la deuxième semaine de confinement, je suis allée acheter des avocats, de la menthe, du persil, de la coriandre et un autre poireau, pour faire des boutures, histoire de me tenir compagnie. Je n’espère pas encore qu’elles me répondent, mais si déjà elles me prêtent une oreille attentive, ça me va.
Lundi 30 mars
Comme beaucoup de monde et grâce à Instagram surtout, je me suis lancée dans une détox drastique. On nous a supprimé notre droit de sortie, qu’à cela ne tienne, j’ai enlevé le reste : la viande, la cigarette, la junk-food, les achats compulsifs… Je ne sais pas s’il va en sortir quelque chose de positif, mais disons que c’est une tentative. Selon Instagram il faut 21 jours pour intégrer de nouvelles habitudes, à voir dans quelques semaines donc.
Mercredi 1er avril
Première sortie depuis six jours.
On aurait dit qu’un tas de déchets avait été déposé devant l’immeuble. Des masques, des sacs plastique, des cartons, des bouteilles… Il y a de tout, même une pancarte avec écrit « médecins » ! Les déchets se sont heurtés aux pneus des voitures, mises à l'arrêt depuis deux semaines. Pour le boulevard de Flandre il y a déjà du mieux, en même temps le vent a tout drainé au bout de la rue de l’Ourcq.
Pour cette sortie courses, j’ai réussi à persuader un « ami voisin » d’y aller avec moi. Après maintes négociations, j’ai même invoqué le mot « solidarité » pour combler ma solitude. Enfin une tête familière, jour de fête ! Toute excitée aux milieu des rayons, me voilà en train de sautiller entre les rillettes et les sardines à l’huile. Certains me dévisagent, j’en oublierais le drame qui se joue dans les hôpitaux. Je me ressaisis vite mais je garde quand même le goût de normalité que me laisse cette rencontre.
Samedi 4 avril
20h05. La dame d’en face et ses cinq enfants sont aux fenêtres. Le plus jeune se glisse entre les jambes de sa mère, qui est déjà coincée entre le mur, les rideaux et le meuble télé, pour taper dans ses mains en rythme avec son aîné. Ils nous font coucou, à nous, voisins d’en face. Quelques minutes plus tard, le petit garçon est revenu à la fenêtre pour voir si, en tapant dans ses mains, la foule réapparaîtrait aux fenêtres, rien n’y fait… Rendez-vous demain.
Dimanche 5 avril
Les rails de la gare de l’Est passent au bout de la rue, on entend les trains, du moins ceux qui circulent encore. Ça n’est pas désagréable, cela signale qu’il y a encore du mouvement. Je laisse donc filer mes pensées avec, loin du confinement, loin de la grande ville...
Jeudi 9 avril
Mes voisins déménagent. Nos immeubles sont mitoyens, nous ne partageons ni la même entrée ni les mêmes escaliers, on n’a jamais vraiment eu de discussions de balcon à balcon et pourtant quand je les entends vivre à côté, je sais qu’ils sont là et tout va bien. C’est comme la petite vieille au bout du couloir ; quand elle crie en portugais sur l’infirmière ou les aides-soignantes, c’est un jour normal. Elles passent habituellement leurs journées à courir partout pour soigner les gens et là, elles arrivent au sixième sans ascenseur pour négocier chaque soins avec une personne qui ne les comprend plus tellement.
Vendredi 10 avril
19h30. Il fait une chaleur étourdissante. À la météo on parle de température digne d’un mois de juillet.
Je me suis lancée à l’assaut des supermarchés pour trouver une ou deux bricoles de première nécessité, cela va de soi. Après plusieurs tentatives, il me reste Casino avenue de Flandre, il y a au moins quinze personnes qui font la queue. Le vigile nous explique que ça n’est plus la peine d’attendre : le magasin ferme ses portes. À défaut de pouvoir faire les courses, je me permets un petit détour dans mon quartier. Il est 20h ; les applaudissements résonnent entre les immeubles. Je passe devant la mini-rampe de skate et les machines de musculation en libre-service. Il y a foule. Ni le virus, ni la chaleur ne les ont empêchés de sortir. Les 18ème et 19ème arrondissements sont les plus touchés et en même temps, comment résister à l’envie de s’échapper de sa tour quand des familles y sont empilées les unes sur les autres ?
Samedi 11 avril
En ouvrant la fenêtre au nord, des effluves de nourriture remontent, ça sent la friture. Avec ça, les cris en arabe de la voisine d’en face. Je ne comprends pas un mot, je vois juste leurs pieds dépasser du store. A en juger par la scène, son mari perché sur un tabouret, a intérêt de réparer le store rapidement, sinon nous allons profiter de leur vie conjugale toute l’après-midi. Si j’ouvre la fenêtre au sud, c’est le régime confiné de mes voisins du dessous qui envahi l’appartement. C’est-à-dire poulet et joints. Ayant arrêté les deux, je préfère quand ils jouent de la guitare.
Lundi 13 avril
Réveil matinal, petit tour des plantes pour commencer. Après être passée devant les boutures de menthe, viennent les salades. Puis c’est au tour des poireaux de se faire examiner la tige. Étant d’une nature contemplative, les matinées passent assez vite…
L’après-midi, il y a les ombres qui se reflètent sur les murs de l’appartement, elles apparaissent lorsque le soleil termine sa course. Certaines se dissipent au bout de dix minutes, d’autres après une demi-heure. Ah ! Sale temps pour les hyperactifs !
Après le discours d’Emmanuel Macron, s’en suit une longue agonie sur canapé. Mais comment allons-nous tenir un mois de plus ?
Jeudi 16 avril
J’ai changé de destination pour les courses, direction Leclerc.
Un couple planté devant le rayon fruits exotiques se concerte : noix de coco ou pas, pour la « soirée Koh Lanta » !? Quoi de mieux que des soirées à thème « programme télé ». Ce soir il y a "Grey’s Anatomy". Finalement je ne vais pas me lancer tout de suite ; si je boycotte BFM TV pour ensuite me lancer dans des séries médicales, ça n’a plus de sens !
En rentrant des courses, je me bats avec le nouveau packaging des fameuses bières vertes. Il faut bien s’entraîner, cet été débutera sans bar, on va donc tous être blottis les uns contre les autres, mais sur un morceau de canal pour les citadins.
Donc voilà, en attendant le 11 mai, j’affûte mes ouvertures de packs de bières et continue à observer mes voisins.